“Le 14 juin 1940, l'Espagne réalise le premier et le seul acte concret de son programme impérial en occupant Tanger et, le 16 juin, le général Vigon évoque devant Hitler au château d'Acoz, le « désir de l'Espagne de prendre l'ensemble du Maroc sous son protectorat ». Ce même jour, le secrétaire d'État allemand Von Weizsàcher est informé du contenu des revendications espagnoles qui sont les suivantes : « Les régions d'Oran (Oranseado), l'union de tout le Maroc sous protectorat espagnol, l'élargissement du Sahara espagnol, l'augmentation de la région côtière entre l'estuaire du Niger et Cabo de Lopez (20). » L'Oranie commence à s'inquiéter de son inclusion dans ce programme et un militant du Parti social français, qui avait autrefois soutenu Franco comme la quasi-totalité de la droite oranaise au cours de la guerre civile, fait part de son inquiétude au consul d'Espagne à Oran qui lui répond : « Que cela vous fasse plaisir ou non, cela sera. Vous ne pouvez nier que l'Algérie est ce qu'elle est grâce au labeur des fils d'Espagne (...) tout au moins l'Oranie. Du reste sans marine, sans aviation, que pourrait faire votre armée d'Afrique pour empêcher l'occupation par les forces allemandes, italiennes et espagnoles débarquant à Melilla... (21). » Nous ne pouvons connaître avec certitude le sentiment des Espagnols d'Oranie par rapport à cette éventualité mais une lettre d'un Français d'Oran, Ulysse Perrin, adressée le 30 juillet 1940 au maréchal Pétain, brosse le tableau suivant de la situation : « ... // est incontestable que pour le département d'Oran, la très grosse majorité des étrangers est espagnole. Or, quelle que soit leur date de naturalisation (...) les Espagnols francisés détestent la France... Tous ces gens sont restés espagnols (...) cent pour cent (...) Il faut avoir pénétré l'intimité d'une de ces familles pour comprendre à quel point l'erreur fondamentale de la France a été de laisser envahir l'Algérie et le département d'Oran en particulier par ces milliers d'Espagnols qui n'ont rien apporté ici que leur grossièreté, leur crasse et leur haine de notre pays... (22). » L'auteur de cette lettre conclut en demandant que soient renvoyés ces étrangers qui ne savent pas aimer la France, renouant ainsi avec le vieux débat sur le « péril étranger » qui avait autrefois agité l'Oranie. Ce « péril », un court instant, devient réalité lorsque le problème de la cession de l'Oranie à l'Espagne se pose au mois d'août 1940 dans le cadre des négociations hispano-allemandes relatives à une éventuelle action conjuguée sur Gibraltar. Dans le mémorandum qu'il transmet à Berlin le 8 août 1940, l'ambassadeur allemand à Madrid indique à son gouvernement que l'Espagne n'entrera en guerre qu'au prix de certaines conditions, dont la première est l'obtention des territoires suivants : « Gibraltar, le Maroc français, cette partie de l'Algérie colonisée et habitée de manière prépondérante par les Espagnols (Oran) et en plus l'élargissement du Rio de Oro et les colonies du Golfe de Guinée... (23). » Hitler ne peut donner satisfaction à une Espagne qui grossit certainement ses prétentions pour ne pas avoir à entrer en guerre, sans trop s'éloigner cependant de son allié allemand. Le chancelier du Reich ne peut prendre le risque de mettre en danger la politique de collaboration qui s'ébauche avec le gouvernement français de Pétain en touchant à l'Empire français, comme le dira le 28 septembre 1940, à l'occasion d'une entrevue avec le comte Ciano : » II ne serait pas impossible que si les engagements concernant le Maroc et Oran étaient connus, l'Afrique du Nord ne tombe alors entre les mains des Anglais... (24). » La décision hitlérienne, .qui sonne le glas du rêve impérial espagnol, ne se répercute pas immédiatement en Oranie où le consul continue d'affirmer que « l'Espagne entrera en guerre à brève échéance et qu'elle revendiquera Gibraltar, le Maroc français et l'Oranie » (25). Le bruit court aussi à Oran selon lequel l'Espagne allait agir directement en Oranie et que le 8 octobre 1940 serait le jour de la prise pacifique de la ville d'Oran (26). L'évêque de cette ville, Mgr Durand, se souviendra même que l'abbé Manresa « s'impatientait que ne descendît pas en Oranie le général espagnol dont les troupes étaient massées sur les frontières orano-marocaines » (27). Mais déjà le rêve impérial espagnol n'avait plus aucune chance d'aboutir d'autant plus que l'espace méditerranéen restait globalement le domaine réservé d'une Italie mussolinienne qui avait pris, elle, le risque d'entrer en guerre. Les entrevues germano-italiennes, parmi lesquelles celle du 4 octobre 1940 au Brenner, indiquent clairement que les demandes territoriales espagnoles ne connaîtront aucune issue favorable. A l'entrevue …”
(Espagne et Algérie au XXe siècle: contacts culturels et création littéraire, by Jean Déjeux, Daniel-Henri Pageaux)
“La colonie espagnole du Maroc compte quelque 20 000 personnes '. « Plus que la métropole, plus que le reste de l'Algérie, l'Oranie s'est sentie concernée par la guerre d'Espagne 2. » Toute la population d'Oran a suivi le déroulement de la guerre civile, et la colonie espagnole s'est divisée entre partisans de Franco, particulièrement puissants à Sidi Bel Abbès, et républicains des faubourgs ouvriers d'Oran. Une multitude d'organisations se crée dans les deux camps et mène une active propagande dans la région. Les amitiés franquistes du maire d'Oran, l'abbé Lambert, permettent aux consuls espagnols en Oranie d'entretenir une propagande importante en Algérie. Ces agissements s'accentuent à partir de septembre 1939 avec l'arrivée à Oran d'un nouveau consul, Barnabé Toca, « dont la mission essentielle sera de créer la section oranaise de la Phalange 3. » Il est aidé dans sa mission par l'abbé Manresa, qui devient en décembre 1939 attaché au consulat d'Oran. Dès septembre, les agissements de Toca sont rapportés par la préfecture d'Oran : il ferait pression sur les Espagnols pour les dissuader de s'engager dans l'armée et entretiendrait le « malaise » d'une partie de la colonie espagnole4. En mars 1940, Toca et Manresa envisagent la création d'un « Auxilio social » à Oran, véritable oeuvre de propagande de la Phalange. Dès le 20 mars, Noguès se plaint vigoureusement de l'activité de Toca. Il réclame une action énergique et une protestation de l'ambassadeur en Espagne. Il signale la surveillance étroite du personnage par les services spéciaux 5. Il semble que la Phalange soit bien implantée en Oranie en mai 1940. L'Espagne cherche à influencer la colonie espagnole et à la préparer à accepter l'idée d'une intégration de l'Oranie au futur Empire espagnol en Afrique. La propagande espagnole s'exerce aussi au Maroc français, mais dans de moindres proportions. Seul le consul espagnol à Oujda, Maldonado, se distingue par des signes d'hostilité contre la France. Il exerce une sorte de liaison entre l'Oranie et la zone espagnole, dont le commandement de Mellila semble piloter l'action en Algérie. Mais le consul général à Rabat, Carranza, garde une attitude très réservée, et la colonie espagnole, composée de nombreux réfugiés républicains, est beaucoup moins franquiste qu'en Oranie. Les autorités françaises n'en restent pas moins vigilantes, et la propagande espagnole se développe sensiblement en Afrique du nord durant cette période. Malgré l'accumulation des menaces potentielles de l'Espagne sur les positions françaises en Afrique du nord, les relations entre les deux zones semblent s'améliorer durant la drôle de guerre. Noguès multiplie les démarches de bonne volonté en septembre 1939. Il annonce à Garcia Figueras, lors de sa venue à Rabat, son intention d'éloigner des troupes de la frontière.”
(Les relations franco-espagnoles pendant la Deuxième Guerre mondiale: rapprochement nécessaire, réconciliation impossible, 1939-1944, by Michel Catala)