Depuis 1453, la ville s'enorgueillissait d'être le siège du Parlement de Dauphiné. Cette institution aux multiples prérogatives logeait dans l'actuel Palais de Justice où les diverses Cours exerçaient leurs fonctions. Entrer au sein de ce prestigieux corps de magistrat constituait l'objet de stratégies familiales ambitieuses, échafaudées sur plusieurs générations. En effet, ce statut conférait la noblesse et tous les privilèges y afférents... dont l'exemption d'impôts. Rouage de la politique royale au rôle essentiel puisque l'enregistrement des lois par ses soins conditionnait leur application dans sa juridiction, ce Parlement se voulait également l'héritier d'une tradition "indépendantiste". En effet, il était le garant des libertés delphinales, ces usages et droits propres à la province que le roi de France avait promis de respecter au moment du rattachement à la couronne des lys. C'était donc un élément majeur de la vie et de la société grenobloise (et au-delà dauphinoise), tant sur le plan idéologique qu'économique.
Lorsqu'en 1788 Louis XVI, exaspéré par les prétentions politiques grandissantes des parlementaires contre ses visées absolutistes voulut régénérer le système et séparer les pouvoirs, Grenoble entra en rébellion ouverte. Le 7 juin, la foule assaillit les troupes royales pour obliger les magistrats à rester en ville et à rouvrir le Parlement. Depuis un mois environ, le Palais ayant été fermé de force, les "Messieurs" avaient transformé les salons mondains en arènes politiques. L'hôtel de Bérulle notamment, où logeait le Premier Président, bourdonnait de débats et de libelles. L'émeute contraignit ce notable et ses confrères à désobéir au roi et à défiler de cet hôtel au Palais. Bien sûr, le cortège devait traverser la place Grenette qui était déjà la place publique où battait le coeur de la cité. Le soir, l'hôtel du Commandement d'où le duc de Clermont-Tonnerre dirigeait les troupes fut mis à sac. La construction de la place de Verdun a fait disparaître toute trace de ce bâtiment.
Naturellement, les élèves de l'ancien collège de Jésuites étaient aux premières loges et fournirent par la suite de nombreuses relations de l'évènement. Stendhal jeune (il a alors 5 ans) en donnera de son côté une vision très personnelle dans sa "Vie d'Henry Brulard". Il dit se souvenir particulièrement d'une vieille femme courant dans la rue ses souliers à la main en criant en mauvais français "Je me révorte !" (pour "je me révolte").
La fièvre retombée sans réel bain de sang, la cité fut comme morte : boutiques et ateliers fermés, magistrats prudemment retirés, méfiance et peur... Pour sortir de cet état dramatique, une réunion politique rassembla à l'hôtel de ville (l'ancien palais delphinal) des représentants de l'ensemble de la société du temps, privilégiés et non privilégiés. Les 13 et 14 juillet, un an tout juste avant cette prise de la Bastille qui est restée le symbole du déclenchement des événements révolutionnaires, ces députés demandèrent que la Nation puisse prendre en main son avenir politique. Et là s'amorce le processus qui d'assemblée en assemblée, de l'officieux à l'officiel, de Grenoble à Vizille et de la province au royaume, va aboutir aux Etats Généraux de 1789. C'est à dire à la Révolution Française.